La vie sur DDU n'est franchement pas désagréable. Certes l'environnement pourrait très rapidement se montrer hostile, mais les années de présence, et donc l'expérience cumulée qui va avec, ont permis d'aménager une base confortable. Il ne manque finalement pas grand chose pour se sentir comme à la maison, dans le cocon ron-ron du quotidien. Il y a même un côté grand luxe dans la vie adélienne puisque je mange tous les jours au restaurant, que mon bureau se trouve à moins de 200 mètres de mon logement, qu’il n’y a pas d’embouteillages, de chiens qui font leurs besoins sur le trottoir, de mouflets qui braillent dans les rayons d’Intermarché. On peut certes croiser sur les passerelles quelques manchots Adélie parfois très agressifs à cette saison, mais c’est aussi l’occasion de se remettre au rugby. Et puis il y a ici tous ces gens que j'apprends à découvrir, une autre facette bien agréable de ce séjour.
Soit. Il n'empêche qu'à DDU, le besoin d'évasion est réel. En France, pour s'aérer la tête, tout est facile: il suffit d'appuyer sur un bouton le dimanche après-midi et hop, d'un coup de baguette magique, Michel Drucker affalé dans son canapé nous fait rêver pendant 2 heures et, pour ceux qui ont une vraie soif d'aventures, il reste encore Jean-Pierre Foucault à 20h30 (sauf si y'a foot auquel cas l'équipe de France nous fait approcher du grandiose). Ici pas de télé et la plus belle des escapades consiste à préparer un sac de survie (vêtements de rechange, corde, gourde), vérifier l'état des piles de son appareil photo, s'enduire de crème et chausser les lunettes elles-aussi solaires, enfiler ses grosses bottines (les « Sorell ») et bien se couvrir, trouver à minima 2 accompagnateurs, s'équiper d'une radio pour garder le lien avec la base et enfin ouvrir la grande porte du jardin, la banquise. Là il ne reste plus qu'à marcher un peu, ouvrir grand les yeux et juste profiter du spectacle. Quoique. Ces sorties peuvent bien évidemment être de pur agrément mais elles sont parfois utiles.
Par exemple, ma première sortie était une manip' « mesure de banquise ». Car notre jardin, comme le vôtre, évolue sans cesse. Notamment il est bon de s'assurer régulièrement que la couche de glace est assez épaisse pour soutenir les véhicules et bien évidemment les hommes. J'ai donc accompagné Stéphane (dista) et Bruno (glacio) pour quelques kilomètres de balade avec pour mission de mesurer en différents endroits l'épaisseur de la banquise. Ce jour-là il y avait beaucoup de glace vive et beaucoup de vent, bref beaucoup d'embûches pour un novice comme moi. J'ai longtemps cru que j'avais un don inné pour marcher sur une patinoire avec grâce, mais après 2 ou 3 jolis gadins -zip zip zip et hop les 4 fers en l'air ! - il a bien fallu que je me rende à l'évidence: j'ai l'étiquette du héros polaire mais pas les supers-pouvoirs. A certains moments pas besoin de mettre un pied devant l'autre car le vent pousse fort et les pieds glissent tout seuls (et puis,donc, zip zip zip et gadin à suivre). Les premières mesures faites à l'aide d'une visseuse et d'une mèche longue de 2 mètres nous ont permis d'évaluer la couche à prés d'1m50 ce qui n'est pas rien à cette saison (quelques centimètres suffisent pour soutenir le poids d'un homme). Une panne de visseuse bienvenue nous a contraints à rejoindre la base de Cap Prud'homme, à 5 km de DDU. Cette base n'est ouverte qu'en été. Elle est installée sur le continent (je rappelle que DDU est installée sur un îlot, l'île des pétrels). De taille très modeste elle est presque autonome. Y séjournent quelques scientifiques mais aussi des techniques qui préparent notamment les départs et arrivées du Raid, un grand convoi de machines tracteuses, de citernes et de containers tractés, qui ravitaille la base franco-italienne de Concordia, 1100 kms plus loin dans les terres. Cap prud'homme est également un point avancé vers la piste d'atterrissage où quelques avions vont et viennent au cours de l'été, en provenance ou à destination des bases Mario Zucchelli ou Concordia par exemple.Un stop à Cap Prud'homme c'est aussi l'occasion de prendre un café avec des gens qu'on croise très peu (puisqu'essentiellement affectés ici) et devant la plus belle baie vitrée des environs (vue sur la banquise, les bergs, et au fond DDU et le glacier, y'a pire et ce genre de paysage comble avantageusement l'absence de télé).
Une fois le café avalé et la visseuse dépannée nous avons poursuivi nos mesures jusqu'à ce que la mèche ne casse à son tour. Le retour a donc été prématuré mais la balade -malgré le ciel gris qui n'a pas permis les belles photos- était bien agréable au final.
Depuis (il y a 3 donc semaines environ), la banquise a beaucoup évolué. Avec les températures douces les flaques d'eau se sont multipliées sans pour autant permettre à la banquise de se briser. Quand on s'y balade il est fréquent désormais de s'y enfoncer jusqu'au mollet ou même, pour faire son intéressant comme moi, jusqu'à mi-cuisse.
Ce petit post est justement l'occasion de vous mettre au courant des dernières nouvelles (voyez les avant-dernières nouvelles ici et là, au niveau des flashs infos).
L'évacuation de la base ne pouvant être envisagée que comme une issue ultime et souhaitée par personne, il est très sérieusement prévu d'équiper l'Astrolabe d'un second hélicoptère pour son retour à R3, ce qui permettrait donc de doubler les rotations hélico de ravitaillement. L'autre solution, qui consiste à louer les services d'un brise-glace américain est également à l'étude (mais là il va falloir que l'IPEV casse la tirelire). Bref, des solutions existent et avec un peu de chance je ne viendrai pas vous (re-)casser les pieds dès le mois d'avril.