Publié le 17 décembre 2014, voici 1 an et 1 jour que je suis en Terre Adélie
Les réponses aux questions que vous m'avez posées de Novembre jusqu'à aujourd'hui:
- En tant qu'être humain dépourvu de sens de l'orientation je m'interroge: vous ne vous perdez jamais ? Je suis sûre que j'aurais trouvé de nouveaux territoires à force d'essayer de retrouver mon chemin.
Pour se perdre sur la banquise, j’aurais tendance à dire qu’il faudrait que tu le fasses exprès. Oui, même toi Lucie* qui réussirais à t’égarer entre ta chambre et la salle de bain. La base de DDU a été construite sur un ilot rocheux, qui culmine à quelques 40 mètres. C’est une altitude très modeste certes, mais l’environnement étant essentiellement plat, la base est visible de très loin. Il y a bien parfois quelques bergs pour nous cacher la vue, mais aucun ici ne fait plusieurs kilomètres de long, donc la vue est rapidement dégagée.
Ceci vaut bien entendu par beau temps, car par temps de blizzard, pas rare en hiver, c’est une autre paire de manches. Il arrive qu’on ait moins de 10 mètres de visibilité et quand le ciel est blanc, quand le sol est blanc et qu’il neige là-dessus (on appelle ça un jour blanc, pardi), même les plus aguerris prennent le risque de se perdre. C’est là que le travail de ton super Papounet prend toute sa valeur, et il va de soi que si le temps prévu est très mauvais, les météorologistes déconseillent de sortir du périmètre restreint de la base
*Quel mauvais Papounet, j’ai raté ta fête le 13. Heureusement ça tombe le 17 dans l’hémisphère sud. Bonne fête Lucie !
45 personnes ! C'est bien quand même la réadaptation à petite dose avant d'arriver dans des zones un peu plus peuplées (de Christine, maman du cuistot).
et
- La population de DDU ait subitement doublé. Ca va te permettre de te ré-acclimater aux files d'attentes à la poste ou à la caisse du SuperU ! (de Church, qui rivalise avec Christine pour le titre de meilleur contributeur)
Si je ne me trompe pas nous sommes actuellement 51 personnes sur la petite île des Pétrels donc 2 fois plus nombreux qu’au cours de l’hivernage (cette réponse a été écrite avant l’arrivée de R1. Nous sommes désormais plus de 80). C’est clairement une autre ambiance. Et oui, au réfectoire par exemple, parfois j’ai l’impression de « foule » et de beaucoup de bruit.
Mais les choses ne sont pas si simples et ce sont des sentiments ambivalents qui dominent : je me sens parfois un peu « déstabilisé » par la présence de tout ce monde, voire agacé, mais bon sang parfois l’anonymat me manque aussi. Je languis d’être au milieu d’une foule dans laquelle je ne reconnais personne et où personne ne me reconnait.
Ouééééé, je sais ce que vous vous dites : ça sent le syndrome de l’hivernant à plein nez. Ben c’est probablement pas faux, mais venez vous isoler en Antarctique avec 24 personnes pendant des mois, et on en reparlera.
Sur la base antarctique norvégienne « Troll » ils sont 7 à hiverner. Sur la base « Escudero », chilienne, ils sont 2 ! J’ai une pensée émue envers ces héros-là.
- Dans ton panier garni, sont-ce des feuilles de menthe pour le mojito ?
Tu ne crois pas si bien dire, Philippe. Oui, les premières feuilles de menthe et les premiers citrons arrivés ont servi à ça. Hmmmm, c’est bon d’avoir des produits frais dans l’assiette, mais aussi d’avoir du vert dans le verre.
- Le changement arrive, le partage de l'espace. Comme ces 11 mois ont filé pour moi! Mais pour vous là-bas, le temps a-t-il la même valeur?
Oui, comme dit Bernadette, maman de Coralie, donc belge initiée aux slogans français qui font pschiiit, le changement c’est maintenant. Et j’ai bien peur qu’effectivement, même à l’envers de la terre, chaque année le temps rétrécit. Si certaines choses ont manqué, ou beaucoup manqué (je ne parle pas forcément que des feuilles de menthe évoquées au dessus), au final cette année a passé très très vite. C’est justement une raison de plus de ne pas regretter d’avoir tenté cette expérience qui me laissera des souvenirs indélébiles.
Oui le temps a filé vite, et il ne faut donc pas que la durée d’1 an freine les éventuels candidats à un hivernage.
- J'espère que t'es passé chez le coiffeur avant que les nouveaux débarquent ! Sinon, j'imagine leur peur : pourvu que je ne devienne pas comme ça dans un an !
Figure-toi, mon petit frère, que je suis validé auto-coiffeur de moi-même, aux ciseaux s’il vous plait. J’ai tout de même terminé ma séance de coupage de cheveux avec une main en sang : je te propose faire l’expérience : te servir d’une paire de ciseaux en te regardant dans la glace, tu vas voir le carnage ! Mais je te rappelle que notre grand-père était coiffeur, faut croire que ça m’a (nous a ?) été transmis dans les gènes. Bref, les nouveaux n’ont pas été effrayés en voyant ma nouvelle tête aux cheveux courts, et même ma chérie a supporté de me voir sur Skype.
- C'est vrai que je n'avais pas du tout pensé à ça, tomber malade ! Avoir une rage de dents sans dentiste, bonjour l'horreur... Ca arrive souvent un rapatriement sanitaire ? Et un décès, ça doit être rare quand même !
C’est pour ça, mon Philou, qu’avant le départ pour DU nous passons des visites médicales très poussées. Il ne faut pas vous leurrer: Si nous sommes devenus des héros polaires, c’est que nous avions des prédispositions (à prendre la grosse tête aussi on dirait). C’est vrai qu’une carie peut arriver en cours d’hivernage, c’est d’ailleurs arrivé et ouf, 2 fois ouf, ça ne m’est pas arrivé. Les rapatriements sanitaires sont impossibles l’hiver, et c’est bien pour ça qu’il est nécessaire d’avoir une santé correcte avant le départ (tout une panoplie d’examens donc, sanguins, radiologiques, cardiologiques, ophtalmologiques etc…).
Il y a eu quelques décès à DDU : le premier disparu a été un … météorologiste (disparu pour de vrai, on n’a jamais retrouvé son corps). Les autres ont eu lieu à l’occasion d’accidents d’hélico, le dernier en 2010 (4 morts). Statistiquement, je crois qu’il y a plus de décès dans les autres districts (Crozet, Kerguelen, Amsterdam), peut être paradoxalement parce que l’environnement semble moins hostile (et donc moins d’attention et de précautions de la part des hivernants).
- J'aimerais bien savoir qui sont les aides médicaux qui assistent le docteur phil? Est-ce que leur rôle consiste à tenir immobiliser les patients pendant que le toubib fait vrombir la roulette du dentiste ?
Ce sont les volontaires qui ont été formés, Churchy, des gens comme vous et moi. Le docteur n’a besoin de personne pour une carie par contre, par exemple, il peut avoir besoin d’un anesthésiste lors d’une opération chirurgicale. Je ne veux surtout pas savoir ce qu’il se serait passé dans ce cas. Le toubib lui-même n’a pas, au départ, ce genre de compétences. Alors imaginez des hivernants qui sont mécanos, glacios ou électriciens !
Nono aurait dû intervenir en chirurgie en cas de pépin. Quand tu le vois en cuisine débiter au hachoir des quartiers de bœuf, ça donne envie de rester en bonne santé.
- Et s'il arrivait quelque chose, un problème sérieux de santé au médecin, surtout pendant l'hivernage, qui s'occuperait de lui ?
Ben voilà Andrée-Céline : ça serait Nono et son hachoir…
- Est-ce-que toutes ces infos météos que vous relayez ont un impact ? Car, lorsque on est envahi par les infos de réunions de pays qui se réunissent à ce sujet, pour "blablater", sans que rien ne suive...
Oui Isabelle, les informations et mesures que les météorologistes transmettent servent. D’abord à élaborer des prévisions fiables, ici et partout sur la planète (l’atmosphère n’a pas de frontière). Mais effectivement, comme vous le sous-entendez, ces mesures servent également à étudier les changements climatiques. C’est même parce que ces mesures ont été faites que les pouvoirs politiques peuvent être alertés avec des argumentaires scientifiques solides. C’est vrai pour DDU, mais aussi pour plein d’autres centres météos dans le monde.
- Kesqui reste comme métier étrange à DDU dont tu n'as pas parlé ? Fossoyeur ? Sculpteur sur glace ?
Mea culpa, Church: mon départ de Terre Adélie étant imminent, l’article consacré à Thibaud-géophy était ma dernière interview d’hivernant.
Ils sont « chaudronnier », « responsable technique », « mécano », « électrotechnicien », « radio » ou « gérant postal » et je n’ai pas trouvé le temps - ou bien l’inspiration m’a fait défaut – de leur consacrer une interview.
Qu’on n’y voit surtout pas de ma part une hiérarchisation des métiers de DDU. Même si parfois mon site et le ton de mes articles pourraient faire croire le contraire, personne n’est ici en vacances. Et non seulement tout le monde a sa place mais chacun est évidemment indispensable au bon fonctionnement de la base. L’hivernage n’était probablement pas assez long pour que j’aie eu le temps d’en développer tous les aspects. J’en suis vraiment désolé.
- Vivement aussi que tout le fuel disparaisse de la banquise, ça nous fait stresser (si jamais elle ne tenait pas le coup).
et
- Votre (ton) départ, du coup, c'est pour quand ?
La banquise a tenu le coup lors de R0, Andrée-Céline. Plus de 300m³ ont été livrés à cette occasion, destinés en priorité à la station de Concordia. A l’heure où j’écris ces lignes, R1 a débuté. Sur les 340m³ qui doivent nous parvenir lors de cette rotation, environ 20% sont déjà dans nos cuves. Le retour de l’Astro (donc mon retour) vers Hobart, dépend des délais qui seront nécessaires pour livrer les 80% restants. Et là, Loulou, c’est la météo qui commande, pas les météorologistes (aujourd'hui, par exemple, grosse tempête, toutes les opérations sont arrêtées pour 24 heures).
Fais gaffe aux virus en arrivant sur le continent. Je te rappelle que la vie en communauté réduite et dans un environnement quasi-stérile a diminué tes défenses naturelles.
Bingo Church (tu monopolises ce « réponses à tout » dis-donc !). Mais pas besoin d’attendre le retour pour tomber malade. Certains sont arrivés à R1 avec les microbes dont nos organismes avaient oublié l’existence. Et me voici avec un mal de gorge, le premier depuis plus d’1 an. Vous retiendrez donc que ça n’est pas parce qu’on vit par des températures de -20 ou -30° qu’on tombe malade. C’est même tout le contraire. Ce sont ceux qui ont vécu à des températures acceptables qui transportent les cochonneries virales et autres.
- Comment revient-on d une expédition aussi exceptionnelle, aurez-vous envie de recommencer ?
En ce moment je suis dans l’état que je décrivais un peu plus haut : l’envie forte de rentrer mais pas que. Claire, notre second-centrale, a rejoint la base de Concordia voici quelques jours, et il y avait de l'émotion lorsqu'elle est montée dans l'hélico. Ce sont donc des sentiments très contradictoires (enfin disons apparemment contradictoires).
Pour la suite, les psys nous assurent une période de « décalage » lors de notre retour et pendant quelques semaines, période qui pourra être dure à vivre, pour nous ou nos proches (ma pauvre chérie…). Il faut plusieurs mois de recul pour profiter de l’expérience que nous avons vécu ici, en tirer tout le bénéfice (d’après ces mêmes psys). Mais le retour est en général moins "dur" pour les gens qui, comme moi, ont déjà hiverné (en l'occurrence à Kerguelen).
Quant à un retour sur DDU: Ce séjour s’est très très bien passé Jeanne, mais je ne re-postulerai pas. J’ai plein de choses nouvelles à expérimenter, ailleurs, avec d’autres, et je ne veux surtout pas me priver de nouvelles aventures.
- J'espère que tu auras ta mutation pour Mayotte !(de Jean-Luc, qui vient de s’installer à Tahiti le veinard).
et
- Rdv à Mayotte et non à l Aigoual alors (de Florence, Christophe, Kelian et Mathias, cévenols en mal de voyages apparemment)
et
- Bethune, Charleville-Mézières ou Valenciennes seraient un bon terrain de ré-acclimatation, non ? (de Christine et Michel qui narguent les nordistes depuis Aix en Provence)
Ben non. Mayotte m’a été refusée. Mais comme je le disais, j’ai un plan B. Réponse dans 3 semaines, je vous en reparlerai, mais d’ores et déjà je peux vous assurer qu’il y aura du dépaysement dans l’air. Et je vous assure que ce plan B ne se déroulera pas sous la grisaille du nord, ni sous les inondations du sud.
- Et si tu maintenais le blog actif pour le séjour en Tasmanie ?
Bon, on est d’accord hein Church. Les premières heures de mon arrivée en Tasmanie je penserai à autre chose. Mais voui, promis, je rajouterai un article. Il sera alors peut être temps de tirer un premier bilan à froid de cette aventure (quelle horreur les bilans).
- J'espère que parmi les nouveaux, l'un d'entre eux s'inspirera de vous pour nous informer de la suite des événements.
Oui Isabelle, les nouveaux ont déjà pris la relève. Vous pouvez d'ores et déjà suivre les aventures de la TA65 sur quelques blogs. Voici ceux que je connais, mais il doit en exister d'autres :
- Coralie, je te rends un homme clef en main, désormais il lave, il épluche, il coupe, il fait la vaisselle, il passe le balaie comme personne, bref une vraie fée du logis.
Ouaip, ça va Nono. On règlera nos comptes ce soir après le repas. Et pourquoi ne dis-tu pas que si tu me rends à Coralie avec quelques kilos de plus, c’est aussi grâce à toi ?
- Cette année a dû être très riche en émotions et souvenirs accumulés ! Il vous faudra un peu de temps pour atterrir et trier tout cela. En tous cas, faisant partie de ceux qui ont suivi au jour le jour, au gré des parutions, en restant la plupart du temps silencieux car je ne voulais pas m'immiscer, je me permets de vous remercier aujourd'hui pour cette publication qui m'a tenu en haleine. Bon retour, et si le blog continue ailleurs, je suivrai .
Pour finir cet article, j’ai choisi ce gentil message de Michel, de la Drôme. Mais j’aurais pu en choisir plein d’autres. C’est l’occasion pour moi de remercier tous ceux qui sont intervenus cette année sur mon site : la famille, les amis proches, les un peu moins proches, les amis perdus de vue qui me recontactent, les anciens de DDU jamais croisés, mais aussi les inconnu(e)s que j’ai (un peu) appris à connaître au gré des échanges, et puis les inconnus totalement inconnus, parmi lesquels Michel, qui une fois ou deux ont bien voulu intervenir.
Si je n’avais pas eu tous ces échos-amis, mon blog se serait vite essoufflé. Vos commentaires et vos questions ont vraiment été un moteur. J’en avais besoin : je suis d’une nature hamac-bronzette-farniente qui, très bientôt, va reprendre le dessus.
Je ne nomme personne pour n’oublier personne : Merci à tous.
(Nan-nan, ceci n’est pas le dernier article. Je vous promets même d’être plus généreux en photos la prochaine fois. Cependant puisque le tout dernier risque d'être écrit "à l'arrache", juste avant le départ du bateau, j'aime autant vous remercier dès à présent).