(publié le 20 octobre 2014)
Vous ne le saviez peut-être pas mais à DDU il y a des noctambules. En tout cas il y en a un. Enfin il y en a une. Même que quand, en plein hiver, la nuit dure 22 heures, ça lui fait des longues journées. Euh vous m’avez compris hein. Non ?
Bon, elle va vous expliquer tout ça.
Salut Christelle !
- Alors toi à DDU tu as un métier pas banal, tu es lidariste. J’ai lu aussi « ingénieur optronique ». Bref, tu te la pètes grave avec des mots qu’on fait rien qu’à pas comprendre. Tu pourrais nous dire ce que ça veut dire et quelle filière d’études tu as suivie ?
Bien sûr Didier Lacoste Didier Lacoste*. Je suis en effet ingénieur optronique, ce qui regroupe de l'optique, de l'informatique et de l'électronique. Pour en arriver là, après mon bac S, j'ai fait un IUT Mesures Physiques (en option MCPC : Matériaux et Caractérisation Physico-Chimique, désolée Didier, encore un acronyme compliqué) suivi d'une école d'ingénieur : l'ENSSAT (Ecole Nationale des Sciences Appliquées et de Technologie) où j'ai suivi la filière Optronique.
(*Ouaip. Ici parfois on m’appelle Didier. Plus rarement Didier Lacoste. Mais très souvent Didier Lacoste Didier Lacoste. L’origine de cette appellation se perd dans la nuit des temps de la TA64 et aussi un peu dans les vapeurs de la grenadine qui coulait ce jour-là. NDR)
- Tu as le statut de VSC. Tu travailles pour quel labo ici ?
Je travaille pour le laboratoire LATMOS (Laboratoire ATmosphère, Milieux et Observation Spatiale) situé à Paris, Guyancourt.
- Un Lidar, ça sert à quoi ? C’est finalement assez impressionnant quand ça fonctionne, ce grand rayon vert. C’est dangereux ?
Question pertinente Didier Lacoste Didier Lacoste. Et bien je vais essayer de faire simple, le LIDAR est un acronyme (oui, encore un) qui signifie Light Detection And Ranging, son fonctionnement est assez proche du SONAR ou du RADAR sauf qu'il utilise de la lumière au lieu d'ondes acoustiques ou radios. A Dumont D'Urville, j'utilise le LIDAR pour observer ce qui se passe dans l'atmosphère au-dessus de nos têtes. Cela me permet de voir les différents aérosols comme par exemple les aérosols volcaniques ou marins, les cirrus (cela doit te parler en tant que grand maître météorologique) ainsi que les PSC (Polar Stratospheric Clouds) dont je te parlerai un peu plus tard.
C'est vrai que c'est assez impressionnant en fonctionnement et très joli à mon goût. Cela me rappelle un peu Star Wars, je ne sais pas si tu connais c'est un film assez récent. En plus d'être impressionnant c'est effectivement dangereux car n'oublions pas qu'il s'agit quand même d'un laser. Le risque le plus conséquent concerne la vue, c'est pour cela que je dispose de lunettes de protection qui filtrent la longueur d'onde adéquate. Regarder le laser directement provoque la cécité, il faut donc éviter. De plus, si on laisse sa main devant le rayon plus de quelques secondes, il y a un risque de forte brûlure, il faut aussi éviter. En campagne d'été, il faut faire attention à l'hélicoptère car si celui-ci passe au-dessus du lidar en fonctionnement, le pilote peut se retrouver aveugle.
- Tu détectes de drôles de nuages aussi, que nous météorologistes n’étudions pas. Il s’agit de quoi exactement ?
Je suis ravie que tu me poses cette question et je vais m'empresser d'y répondre !
Les nuages en question sont des PSC (Polar Stratospheric Clouds) qui comme leur nom l'indique sont des nuages stratosphériques polaires. Ils sont présents uniquement dans les régions polaires, en arctique ou en antarctique. Ces nuages se forment à des températures très basses (inférieures à
200 °K), ce qui arrive fréquemment dans le vortex polaire au-dessus de l'antarctique et se situent entre 14 et 25 km d'altitude. Ils sont en partie responsables de la destruction de l'ozone et de la création du fameux « trou de la couche d'ozone ». Ceux-ci sont observés entre Juin et Septembre, lorsque c'est l'hiver polaire et qu'il fait un peu plus frais. Cette année, ils ont été particulièrement frileux car je n'en ai observé qu'en Août et Septembre. Il y a différentes sortes de nuages stratosphériques polaires mais ceux observés au-dessus de DDU sont essentiellement composés d'acide sulfurique et nitrique.
- Tu es donc la mieux placée pour nous indiquer où en est le célibrissime « trou de la couche d’ozone ». Est-ce qu’on va tous mourir ?
Le trou va très bien, il est apparu en août, a grossi en septembre et là il se résorbe tranquillement.
15 août 31 août
16 septembre 14 octobre
Pour l'instant, le trou persiste à ne pas passer au-dessus de DDU, donc on ne va pas tous mourir, du moins, pas nous. Par contre, pour la base Concordia, je ne promets rien.
- Tu as pour le moins des horaires décalés, et quasiment un emploi saisonnier…
A mon arrivée mi-janvier, c'était encore le jour polaire, la nuit était partielle, il était donc compliqué de faire des mesures LIDAR. Pour observer l'atmosphère, je ne travaille que la nuit et de préférence une nuit totale, c'est-à-dire environ 2 h après le coucher du soleil jusqu'à 2 h avant son lever. Un autre facteur entre en compte : le temps (ce qui te concerne, je crois Didier). Si la couche nuageuse au-dessus de nos têtes est trop importante, c'est terminé, fin de chantier. Impossible de faire des mesures sans casser les détecteurs. Bref, un LIDARiste est exigeant et ne veut que du ciel dégagé ou des petits nuages pas méchants (comme les touristes). Les mesures commencent début Février avec des veilles de 1h30 à 02h00. Le moment critique est de mi-juin à mi-septembre. C'est à ce moment que je dois faire des veilles plus longues pour observer les fameux PSC. Pendant cette période mes horaires étaient quelque peu décalés avec un début de veille vers 16h/16h30 h et une fin de veille à 7h/7h30 h. En gros, j'allais me coucher du sommeil du juste lorsque vous, braves gens, sortiez de votre nuit réparatrice. Mon record de veille est de 15h21 d'observation. Mi-septembre c'est le retour à la vie en communauté avec des horaires normaux (22h – 01h) et des veilles de routine. Début Novembre, c'est la fin des haricots avec le retour du jour polaire.
- Ton bureau est relativement éloigné du dortoir et cet hiver, du fait de tes horaires, tu étais souvent la seule à être debout sur la base pendant que les autres dormaient. Ça fait quoi de se retrouver seule dans la nuit antarctique, sous les étoiles ? T’avais pas un peu la pétoche ?
Les nuits étaient parfois très longues et il vaut mieux savoir gérer son temps et rester seul pour être LIDARiste, sinon ça peut être très dur pendant 3 mois. Pour ma part, j'étais sans cesse émerveillée par la nuit australe et les aurores. Il y a des avantages à être debout la nuit, j'étais aux premières loges pour voir l'un des plus beaux spectacles dans le ciel austral. Les moments de solitude me pesaient quelques fois mais en général, il y avait un côté grisant à avoir la nuit rien que pour soi. Je n'ai eu la pétoche qu'une seule fois, après le visionnage du film « The Thing ». Là, la nuit a été très longue, je sursautais au moindre bruit et j'avais laissé la pelle à portée de main au cas où... Comme quoi l'hivernage peut rendre parano.
En guise d'interlude, je vous propose de visionner ce petit bout de film (timelaps): Le rayon vert dans la night
Revenons maintenant à nos moutons
- Personnellement, après un an à DDU, je rêve de plages pas encombrées d’icebergs, je rêve de cocotiers avec des toucans dessus et pas des pingouins. Mais toi, de toute évidence, tu en redemandes. Tu peux nous en dire plus sur tes projets post-antarctiques ?
Comme j'adore la neige et le froid, j'ai pour projet un poste similaire mais en Arctique au Svalbard (donc proche du pôle nord, cette fille est folle, NDR). Je vais quand même faire une cure de soleil et de chaleur avant de repartir, histoire de ne pas passer pour une masochiste.
- Une de mes lectrices se demandait récemment comment on fait pour supporter 1 an de vie avec tous les jours les 24 mêmes personnes, sans échappatoire possible (personnellement, rien que le fait d’évoquer la question me donne envie d’en étrangler 3 ou 4). Tu lui répondrais quoi toi ?
Ca paraît pas simple comme ça mais ça se fait très bien, il suffit de savoir prendre sur soi et ne pas oublier que c'est la même chose pour tout le monde : éloignement familial, etc. Bien sûr, des groupes se forment par affinité ce qui est totalement normal, il semblerait que cette année nous ayons eu de la chance avec une excellente mission. Personne ne s'est encore tapé dessus (croisons les doigts).
J'ai plus de chance que certains, je travaille seule, j'ai donc un environnement de travail rien qu'à moi. Si jamais une envie d'isolement me prend, j'ai la possibilité d'aller dans mon Shelter (c'est à dire son bureau, NDR) pour être tranquille.
- Christelle, un jour tu seras vieille comme moi, ça te pend au nez. Et Alzheimer aussi comme moi. Il ne te restera plus qu’un seul souvenir de cette année. Tu penses que ce sera lequel ?
Il s'est passé tellement de choses qu'il est difficile de déterminer un seul souvenir. J'aurais pu parler de l'aurore magnifique au-dessus du LIDAR ou du coucher de lune rousse au-dessus du continent mais celui qui restera toujours dans ma mémoire, c'est l'élection de Miss Terre Adélie, impossible à oublier !
(Je précise que sur cette photo, prise lors d'une "manip phoque" par Loïc, Christelle n'embête pas la bestiole pour le plaisir. Elle tient à la main un appareil qui permet de détecter si cet animal possède une "carte d'identité", on dit un transpondeur)
Sacrée Christelle, tu dois bien être la seule à te désespérer des jours de plus en plus longs, même si, comme tu le dis si bien, le ciel parfois limpide de la nuit australe nous manquera.
Un grand Merci en tout cas, Christelle Christelle, pour avoir rendue compréhensible la nature de tes travaux.
(Toutes les photos qui illustrent cet article m'ont été transmises par Christelle. Les images du trou de la couche d'ozone sont tirées du site de la NASA)