(publié le 17 octobre 2014)
André est un jeune homme de 24 ans qui, les soirs de Karaoké à DDU, chante (plutôt bien) du Charles Aznavour. Voilà qui n’est pas banal. Mais ça n’est pas pour ses talents de crooner que j’ai rencontré notre Dédé national. Nan. Dédé je suis allé le trouver pour qu’il nous parle de son métier.
Moi qui ne suis pas manuel pour 2 sous, j’ai fait bien gaffe de ne pas me blesser dans son atelier.
Toc, toc, toc (Dédé occupe le seul bâtiment dont la porte est en bois, incroyab')
- Hey, salut André !
Dédé, tu es menuisier. Tu es conscient qu’il n’y a pas d’arbre à moins de 2700 kms à la ronde ? Tu l’as fait exprès de t’installer ici ?
C’est quoi tes motivations au départ ?
Tout d’abord Didier une grosse précision s’impose : je ne suis pas menuisier mais charpentier, ne mélangeons pas les torchons et les serviettes !
Ce qui m’a poussé à venir ici c’est d’abord l’envie de voyager encore un peu plus loin, mais aussi, du coté professionnel, pour voir comment sont conçus et comment fonctionnent les bâtiments soumis à ces températures extrêmes.
(Je précise qu'à partir de là, les photos qui apparaissent sont celles de certaines des productions locales de notre menuisier, oups !, de notre charpentier)
- Où te fournis-tu en matière première ?
Quand j’ai besoin de bois, ce n’est pas bien dur, je sors de la menuiserie, je tourne à gauche et là, à 10 mètres, il y a deux palettes de bois qui m’attendent ! C’est bien plus simple qu’en métropole, pas besoin de courir à Casto !
Plus sérieusement, la plupart du bois qui se trouve sur base provient de France mais nous avons aussi du bois dur provenant de Tasmanie.
- La conservation du bois ne pose-t-elle pas de problèmes dans de telles conditions de températures ?
Il y a une condition pour qu’il se conserve bien ici : le bois doit arriver sec. Si au contraire il est humide, avec le gel et le dégel les fentes s’agrandissent et fragilisent le bois. Le bois ne craint pas les écarts de température, par contre il vieillit plus vite à l’humidité. Heureusement ici d’après ce que disent nos amis météo le temps est relativement sec n’est ce pas Didier ?
(oui, relativement Dédé)
- Tu travailles donc le bois, mais pas que. Tu peux nous en dire plus ?
Non ! Bon d’accord…
Ici je tiens le rôle de menuisier donc il m’arriveaussi de travailler avec différents plastiques pour les pièces humides (salle de bain, WC, cuisine) pour des questions de résistance à l’eau ou d’hygiène, notamment dans la cuisine.
- Quel est le plus gros handicap à exercer ton métier en Antarctique ?
Mon plus gros handicap pour travailler : mes dix doigts, ils supportent mal le froid et sont beaucoup moins habiles avec de gros gants.
- J’aimerais que tu évoques ton parcours d’avant DDU, d’une part parce qu’il n’est pas banal, d’autre part parce que.
Mon parcours avant d’arriver là est assez simple, j’ai quitté l’éducation nationale en 2005 pour passer mon CAP charpente bois en alternance entre le CFA des compagnons du devoir et une entreprise de charpente à quelques kilomètres de chez mes parents. Par la suite l’ambiance chez les compagnons m’ayant plût, je suis parti faire mon tour de France à Brest puis dans une dizaine d’autres villes avant d’arriver à Bordeaux. Là j’ai rencontré un plombier qui revenait de DDU. Un an et demi après qu’il m’ait raconté son voyage je quittais Dijon pour y aller à mon tour.
- Compagnons du devoir... ?
Pour faire simple, c'est une association d'ouvriers qui, une fois leur CAP (ou autre diplôme du métier) en poche, décident de se former différemment. Pour ça ils partent de leur région et vont travailler dans une autre entreprise. On découvre alors d'autres façons de faire, d'autres contraintes (climatiques, esthétiques ...) mais aussi de nouveaux collègues, patrons avec des caractères plus ou moins forts. En plus de travailler en entreprise, ce qui est déjà très enrichissant, on a des cours le soir de 20h à 22h et le samedi de 8 à 17h. Ces temps de travail permettent de continuer les cours généraux (français, maths et anglais) et d’approfondir la théorie du métier, le dessin industriel, les calculs de résistance. On peut au fur et à mesure passer les diplômes (Bac pro, BP, BTS, DEUST) en candidat libre. Après avoir voyagé 3 à 4 ans, à raison de 2 régions par an, vient le temps de faire son travail de réception (surnommé "chef d'œuvre") et de devenir Compagnon du Devoir.
Le tour de France ne s'arrête pas là : une fois compagnon, le bon sens veut qu'à notre tour nous animions les cours du soir et que nous transmettions à notre tour nos connaissances aux plus jeunes. Cette re-transmission dure 3 ans et est tout aussi formatrice que les 4 années précédentes.
- Je n’ai pas l’habitude de jeter des fleurs à mes interviewés. Cependant je ne réussis pas à garder pour moi le résultat de certains de tes « travaux-loisirs ». Par exemple tu as passé combien d’heures sur le cadeau que tu as fait à Pierre ?. Moi je n’y connais rien en menuiserie. C’est quoi la plus grosse difficulté pour créer un tel objet ?
Je vois là la question d’un intéressé je sais qu’il te plait beaucoup ce globe ! Ces cadeaux sont certes pour faire plaisir à celui qui le reçoit mais ce sont aussi de petits défis personnels. La partie la plus difficile dans chacun d’eux est à chaque fois de savoir ce qui ferait plaisir à la personne. Une fois que l’idée est là, la partie technique va toute seule. Pour ce qui est du nombre d’heures, c’est comme le prix d’un cadeau, ça ne se dit pas.
- Projettes-tu quelques vacances à ton retour, ou bien te mets-tu immédiatement en recherche d’un emploi ? On trouve facilement un job dans ce métier, avec ton parcours ?
Quelle question ! Bien sur que je veux des vacances avant de retourner travailler ! A moins que les choses aient beaucoup évolué depuis que nous sommes là, je ne pense pas avoir de problème pour retrouver du travail: je ne connais pas de charpentier qui soit au chômage.
- Finissons sur une note joyeuse si tu veux bien. Si, si tu veux.
A notre émission radio hebdomadaire, sur « Skuarock, l’onde de choc », tu tiens régulièrement une chronique très appréciée, « La Dédéconnade », au cours de laquelle tu racontes de belles histoires.
Tu peux m’en raconter une, dis Dédé (mais sois tout de même sympa de ne pas la faire trop trash, je veux garder mes lecteurs, pis je viens de gagner un grand prix international donc je suis désormais surveillé par les médias)
L’histoire se passe dans un petit village, un jour de mariage. Le marié, après être sorti de l’église au bras de sa femme, retourne voir le curé et lui dit : "Merci beaucoup pour cette belle cérémonie, c’était très bien. Dites moi, combien est ce que je vous dois pour la messe ?"
Le curé : "Eh bien mon fils, la tradition ici veut que le marié donne proportionnellement à la beauté de sa femme."
L’homme se retourne alors, observe la jeune mariée, fouille dans sa poche et en sort une pièce de 10cts qu’il donne au curé.
Le curé en voyant ça, reste un moment choqué.
Après quelques secondes il se reprend et sans se démonter, annonce au marié : "Ne bougez pas, je vais chercher la monnaie !"
Aaahh, sacré Dédé ! Très amusant, ceci dit avec des blagues comme celles-là tu vas plus facilement trouver un job qu'une femme à ton retour.
C'était l'heure pour moi de m'éclipser. J'ai laissé Dédé à sa scie circulaire et à ses rabots en refermant sa porte en bois.
Pis j'ai filé chez le toubib, histoire qu'il me retire toutes ces échardes.