Dans la famille manips, il y a celles qui servent pour des études (comme relatée dans ce post précédent), et puis il y a celles qui sont là juste pour nous aérer la tête. Celles-ci se traduisent toujours de la même façon: balade dans le jardin. Mais le jardin en question - la banquise - est immense; on peut donc s'aventurer dans plusieurs directions différentes, rejoindre l'un ou l'autre des îlots de l'archipel, ou bien se diriger vers un berg. On privilégie souvent les balades quand le soleil est bien bas sur l'horizon, ça donne de chouettes couleurs à la glace.
Une première fois je me suis « échappé » avec Victor (pâteux), Olivier (glacio parti à R2) , Pierre (météo) et Sépanta (glacio hivernante). Puis une deuxième fois avec tout un groupe (nous étions au moins 12, c'est rare d'être si nombreux). Notre but c'était alors « Cinéberg » et « Chou-fleur ».Oui car les icebergs sont parfois baptisés. Le glacier « Astrolabe », un tout petit glacier en comparaison de certains autres présents en bordure de continent, charrie en effet ces gros glaçons qui ont souvent du mal à s'évacuer. Je n'ai pas trop de données là-dessus mais il est probable qu'ils raclent le fond de la mer et leur évacuation ne se fait alors que très lentement. A titre d'exemple, « Cinéberg » et « Chou-fleur » sont justement 2 bergs présents dans la zone depuis plusieurs années.
Alors pourquoi « Cinéberg » me direz-vous ? C'est que certains illuminés adéliens d'il y a quelques années ont été frappés par la surface lisse et verticale de ce berg. Figurez-vous qu'ils y ont organisé une séance cinéma, si, si, avec projection d'un film sur la glace. La séance annuelle semble devenir une tradition. Je sais par exemple qu'au cours de la TA62 (donc il y a 2 ans), les hivernants y ont projeté le voyage dans la lune, de Méliès.
Oui d'accord mais alors pourquoi « Chou-fleur » me direz-vous ? Eh bien on est en droit de se le demander et cela prouve que les hivernants, après quelques mois de présence à DDU, ont oublié l'aspect d'un chou-fleur. Vous vous ferez votre idée en voyant le berg en question sur les photos.
Ce qu'il faut retenir c'est que ça a été deux très chouettes sorties, que le spectacle du soleil couchant sur les bergs était magnifique, qu'on a eu tout loisir de fréquenter les phoques, que c'est (aussi) avec des moments comme ceux-là qu'une complicité s'instaure entre hivernants. Donc ces sorties sont juste essentielles.
La banquise n'était pas encore trop casse-gueule. Les températures relativement douces la rendaient même par endroits franchement molasonne si bien qu'à certains moments il m'est arrivé de m'enfoncer jusqu'à mi-cuisse (dans un groupe, dès qu'il y en a un qui peut se faire remarquer, devinez sur qui ça tombe...). Depuis quelques jours les températures ont bien chuté. Le matin on frôle les -10°, l'après-midi le mercure peine à franchir les -4°. La banquise redevient dure et là où elle avait suffisamment fondu il y a désormais de la glace vive, donc extrêmement glissante. Les crampons sont conseillés. Ou bien les patins pour ceux qui maitrisent le double salto piqué.
Il y a quelques jours j'ai eu de la chance d'effectuer... Mes compétences étant reconnues, j'ai effectué tout récemment une sortie hélico afin de tester la glace au plus près de la polynie*. Le survol de la banquise où alternent les zones couvertes de neige et les surfaces de glace vive est juste splendide. Les icebergs sont figés dans cette gangue et ils n'ont plus qu'à patienter jusqu'à l'été prochain avant d'entamer une migration vers le nord (je dis ça mais l'histoire prouve que la banquise peut débâcler très tard dans la saison ou, également très tôt, ce sont avant-tout les tempêtes qui commandent la tenue du pack).
*Pour rappel, une polynie c'est une espèce d'immense lac de mer libre, entouré de banquise. C'est très recherché par l'Astrolabe (le bateau) puisque la navigation y est normale, alors qu'en zone de pack elle est évidemment beaucoup plus délicate, voire impossible.