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Un homme et une femme, chabada-bada, oui il faut un homme et une femme pour s’occuper de la centrale à DDU. Et nous sommes en droit de nous interroger : Travaillent-ils chacun à mi-temps ? Malgré son nom, la centrale peut-elle être mise de côté ?
Autant de questions légitimes et bien plus encore que, pour vous, j’ai posées aux 2 tauliers : Christophe (chef centrale) et Claire (second centrale).
Salut vous,
- Pour être à centrale, faut-il avoir fait St Cyr ? En d’autres termes, en quoi ont consisté vos études puis quel a été votre parcours professionnel avant DDU ?
. Christophe :
Salut Didier. Pour ce qui me concerne, j’ai quitté le « civil » à 16 ans (seconde C) pour m’engager dans la Royale (la marine Nationale NDR). J’y ai passé 30 ans. Pendant cette période j’ai eu la chance (mais c’est surtout sur la base du volontariat) de pas mal naviguer et donc de voir pas mal de pays. C’était également pour moi l’occasion de passer à 2 reprises sur le district de St Paul et Amsterdam (1 des 5 districts des TAAF) en 1987 et 1994, respectivement avec les navires Aviso Escorteur « Commandant Bory » puis le Bâtiment Commandement et Ravitaillement « Var ». Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai contracté le virus car par la suite j’ai fait 4 hivernages (Amsterdam en 97, Crozet en 2002 et 2007 puis Kerguelen en 2010).
J’ai posé la « casquette » - comme on dit dans le jargon de la Royale – en avril 2011. Entre cette date et mon arrivée à DDU j’ai exercé un métier plus sédentaire, je faisais du transport scolaire. Tu remarqueras que c’est toujours dans le domaine du voyage ! (Mouaip…personnellement j’ai utilisé les transports scolaires durant toute mon enfance, et je vous jure que je n’ai jamais eu l’impression de voyager NDR).
. Claire :
Et comme un marin ne suffit pas, l’IPEV en a embauché un deuxième ! J’ai suivi le cursus des officiers de la marine marchande à l’école du Havre. J’ai ensuite navigué pendant 3 ans comme lieutenant au pont et à la machine, sur des navires câbliers et rouliers.
- Pour venir vous perdre à ces latitudes polaires, c’est probablement que vous avez chacun fait de grosses bêtises dans le monde civilisé. En tout cas c’est la rumeur qui court à DDU. Vous souhaitez démentir ? Quelles sont vos réelles motivations à venir bosser ici ?
. Christophe :
Il est vrai que j’avais le choix entre un hivernage à DDU et un engagement pour la Légion Etrangère. Plus sérieusement, comme je l’ai déjà dit, j’ai chopé le virus mais pour venir à DDU il fallait que j’attende de quitter la Royale. J’ai donc postulé en 2012 et me voici membre de la fameuse TA64.
. Claire :
De mon côté, je suis attirée par les régions polaires depuis mes premiers embarquements en tant qu’élève sur un navire de croisière (j’ai eu l’occasion de naviguer en Arctique et en péninsule Antarctique). Et puis entre l’isolement d’un navire ou bien celui d’une base polaire il n’y a qu’un pas, tant professionnellement que du point de vue de la vie en collectivité.
- Bon, fini de rire. Centrale ça veut dire quoi ? Ca sert à quoi ?
. Christophe :
En fait le terme complet est « centrale électrique ». C’est un peu comme EDF en métropole. Nous fournissons et distribuons l’électricité sur toute la base. Mais là où nous sommes plus fort qu’EDF, c’est que nous faisons également le boulot de la Lyonnaise des Eaux, mais en mieux. Eh oui, nous distribuons l’eau potable sur toute la base, mais avant cela nous la produisons en dessalant l’eau de mer.
. Claire :
Pour produire de l’eau douce à partir de l’eau de mer on utilise majoritairement le bouilleur (2 cuves dans lesquelles l’eau s’évapore puis est condensée ce qui permet de séparer le sel de l’eau douce). En été, lorsque le besoin en eau est plus important (car plus de monde sur la base NDR) on utilise en plus du bouilleur l’osmoseur (série de filtres dans lesquels l’eau de mer mise sous pression passe ; selon le procédé d’osmose inverse, l’eau douce peut être récupérée).
- L’un et l’autre avez le même emploi ou bien y-a-t’il des distinctions entre vos 2 fonctions ?
. Christophe :
D’un point de vue professionnel il n’y a pas de distinction entre nos 2 fonctions. Cependant dès qu’il y a plusieurs personnes dans une équipe, il en faut une qui tienne le rôle de responsable. C’est lui qui se charge également de la paperasse, qui est l’interlocuteur avec le responsable technique et qui, le cas échéant, se fait taper sur les doigts. C’est pour ça que j’ai mis beaucoup de gants dans ma valise.
. Claire :
Un certain nombre de maintenances et de manips (transfert de gas-oil entre les cuves, visites de groupes électrogènes, avaries diverses…) nécessitent la présence de 2 mécaniciens.
- J’ai compris que vous fournissez l’énergie, et par voie de conséquence du chauffage, de l’électricité… Dehors les températures sont proches de -25°. En cas de grève à Centrale - ou d’incendie - il me reste combien d’heures à vivre ? Vous avez un plan B si la Centrale est Hors Service ?
. Claire :
Rassure-toi Didier, une grève générale n’est pas prévue pour 2014, on ne vous laissera pas en plan comme ça ! Par contre on n’est jamais à l’abri d’un incendie ou d’un problème de grande envergure sur les groupes électrogènes (viens par ici que l’on touche de la peau de singe !).
En cas de centrale HS, nous avons un groupe électrogène de secours (un des anciens groupes de la base) qui peut alimenter tous les bâtiments. Pour la production d’eau potable si le bouilleur venait à être entièrement HS, il faudrait que l’on trouve un autre moyen, qui risquerait fort d’être pénible comme par exemple faire fondre de la neige ou bien, si l’osmoseur est encore valide, le mettre en fonction.
- Malgré la cherté de la main d’œuvre, vous offrez régulièrement un petit boulot nocturne à certains hivernants. C’est tout à votre honneur. Mais ces extra passent-ils leurs nuits à centrale parce que c’est l’endroit le mieux chauffé de la base, ou bien ont-ils une réelle utilité ?
. Claire :
La centrale est très peu automatisée (pas de reports d’alarmes, paramètres sans surveillance électronique). Il est donc nécessaire que quelqu’un la surveille en permanence, de jour comme de nuit et effectue les relevés si précieux pour nous et pour tout le monde (vu que c’est toutes les 2 heures pendant la nuit, ça empêche la personne de quart de s’endormir). Il est évidemment impossible que nous ne soyons que 2 à faire du quart (ou sinon là c’est grève assurée !) alors tous les techniques font du quart à tour de rôle (nous sommes 9). Mais ce n’est pas interdit aux autres de venir profiter du chauffage pendant 10 heures. Tu as toi-même pu le constater. A quand ta prochaine nuit centrale ? (ce que ne dit pas Claire c’est que l’environnement centrale est extrêmement bruyant et ces nuits de « garde » particulièrement pénibles NDR).
- En début d’hivernage mes lecteurs ont été tenus au courant de nos difficultés à être ravitailler en fuel. A l’époque j’avais été jusqu’à envoyer, comme chacun ici, un mot d’amour et quelques recommandations à mon ex-future veuve. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Où en est notre consommation de fuel, où en sont les réserves ? Sans vouloir être catastrophiste, est-ce qu’on va tous mourir ?
. Christophe :
Je crois que ce n’est pas écrit dans le scénario qu’on va tous mourir, du moins pas tout de suite. Nous avons eu effectivement beaucoup de mal pour ravitailler le gas-oil nécessaire pour passer l’hiver. Mais comme chaque hivernant de la TA64 est un professionnel responsable, il respecte les consignes pour faire des économies d’énergie et donc de gazole. Je suis confiant en l’avenir et suis sûr que nous tiendrons jusqu’au prochain ravitaillement.
- L’hivernage est évidemment loin d’être fini et, pour mettre un peu de piment dans cette vie monacale, il pourrait finir en guerre civile. Malgré ce risque, et au vu de votre expérience de quelques mois, conseilleriez-vous un séjour antarctique ? Si oui, quelles sont à vos yeux les qualités indispensables que doit posséder un hivernant ?
. Christophe :
Rester zen dans toutes les situations ; Surtout quand un journaliste amateur essaie de vous pousser hors des limites.
. Claire :
Je ne vois pas le rapport avec la centrale.
- Une de mes ferventes admiratrices me demande si vous auriez une anecdote sympatoche à raconter à propos du début de votre hivernage (je me permets de préciser que certains de mes lecteurs sont très jeunes…)
. Christophe :
Ne t’inquiète pas Didier. Notre anecdote peut être lue par tout le monde et va peut-être même donner des idées aux pêcheurs du monde entier. En effet nous avons mis au point une nouvelle technique de pêche : il suffit pour cela d’une pompe et d’une cuve en inox. Vous raccordez un collecteur entre la cuve et la mer, un autre entre la cuve et la pompe. Ensuite vous appuyez sur le bouton ON de la pompe et vous attendez qu’une alarme se déclenche au passage du premier poisson assez idiot pour se faire aspirer. Une installation brevetée « FPT » (French Polar Technology).
- Claire, mes auditeurs et auditeuses se questionnent : tu es une des 3 femmes de la TA64, sur un effectif de 25. Les mecs d’ici sont-ils plutôt des lourdingues ? Plutôt des gentils-benêts ?
. Claire :
Merci pour l’alternative Didier. Lourdingues ou gentils-benêts ? Comment je fais pour répondre à cette question sans contrarier personne ? Allez, pour faire court, je suis habituée à travailler dans les milieux majoritairement masculins, et les mâles d’ici ne sont pas pires que les marins à bord (Je me demande encore comment on doit prendre cette réponse NDR).
- Quant à toi Christophe, est-il vrai que tu as choisi l’emploi de « Chef centrale-énergie » parce que tu as appris que les filles de DDU sont frileuses et attirées par les hommes à poêle ?
. Christophe :
Mon cher Didier, il me semble reconnaître dans ta question une « olivade*». Mais tu sais, vu mon parcours professionnel, je ne pense pas que je pouvais postuler comme pâtissier ou « devin » de Météo-France.
Cela dit, je trouve que la TA64 a entamé son hivernage par le bon bout et que cela va être une expérience enrichissante, pour chacun d’entre nous. J’ai bien dit là non ? J’ai gagné quelque chose ?
*Olivade : Blague à 2 balles qu’on est obligé d’expliquer en long et en large pour avoir la chance de voir les auditeurs incrédules esquisser un sourire poli. L’olivade tire son nom du grand spécialiste adélien, Olivier, chef météo de la TA64. Tous les autres (dont moi) ne sont que de pâles imitateurs NDR.
- Y’a-t-il une (des) question(s) que vous auriez aimé que je vous posasse et que j’aurais oubliasse ?
. Claire :
Ca va, j’ai eu ma dose de questions. Par contre je vais me faire un peu de publicité car tu n’es pas le seul à écrire un blog, Didier. Alors venez faire une petite visite sur mon site http://chroniquesgivrees.ta64.tf
.Christophe :
Est-ce qu’on gagne quelque chose si on pose d’autres questions (toute ma reconnaissance, mais tu l’as déjà en poche NDR) ?
Ca ne vous a pas échappé, les hivernants de la TA64 sont vraiment sympas. Nos 2 marins vous ont-ils fait chavirer ?
Ca non plus ça ne vous a pas échappé, je ne suis jamais avare d’une blague bien naze. J’en ai des pires mais j’ai bien trop peur que, par mesure de rétorsion, la Centrale me coupe l’électricité dans la chambre…
Grand merci donc à Claire et Christophe.
Commentaires
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1 Church Le 06/06/2014
Une petite pensée pour nos courageux hivernants qui, à n'en pas douter, vont avoir une nouvelle occasion de se retrouver autour d'une grenadine bien frappée à l'occasion de cette journée d'anniversaire du débarquement!
Et que l'animateur du blog profite bien du lundi de Pentecôte pour revenir mardi avec de nouvelles blagues et interviews qui vont nous permettre de passer le reste de la semaine avec la banane! -
2 Coralie Le 02/06/2014
Chapeau à Claire qui montre que les femmes sont capables de bien des choses autrefois/encore souvent réservées aux hommes.
Et sinon, aujourd'hui, plus de 52 degrés nous séparent... Ca commence à faire!!
Finalement ch'uis mieux ici -
3 Church Le 28/05/2014
Et un nouvel article qui m'a bien fait marrer, avec des blagues bien moisies tirées de l'"Almanach Verrmot" que Didou a du emporter dans sa malle (ben oui, sinon, sans ce précieux ouvrage, comment ferait-il ses "prévisions"?...Notons au passage combien ses collègues doutent de leur fiabilité...). Mais on y apprend aussi quantité de choses, comme la consommation de l'eau désalée produite par distillation ou pas osmose....
En tous cas, un grand bravo a l'Amiral Christophe et à son second La capitaine Claire et un encore plus grand merci de prendre soin de ces 25 furieux en leur procurant chaleur et eau douce (car il est bien vrai que la grenadine noyée dans l'eau de mer...beurk!!!).
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