Il y a tout près d'ici, les manchots papous. Je profite qu'au cours de mon séjour popchat me demande zéro contribution (pas de cages à porter, le panard) pour aller voir leur lieu de nidification. J'en connais parmi vous qui auraient été aux anges: les bébés papous c'est gros comme une peluche, ça a du duvet comme une peluche, une tête de peluche. Ca donnerait envie d'en ramener un à la maison. Si on s'approche il est mort, car l'adulte qui le couve déserte son nid. Quand il y a 2 bébés, 1 est condamné, de toute façon, car les parents n'ont pas les ressources pour en alimenter deux.
Pendant 2 jours j'aurai le temps de parcourir plusieurs fois de long en large cette plage. J'avais déjà ressenti ça à Crozet: Ca grouille de vie, par dizaine de milliers d'individus, par toutes ces mises au monde partout autour, ces piaillements jours et nuits, ces grognements, ces aboiements, c'est la vie, la vie à foison, et là-dedans,partout, la mort, par centaines des cadavres, qu'on piétine sans s'en apercevoir, les ossements ou les peaux vidées de leur contenu, les bonbons aux yeux crevés par les pétrels, le sang qui gicle dans les combats et les blessures monstres à la mesure des dents monstres des pachas, la mort partout, mais c'est bien la vie qui l'emporte. C'est comme si la mort, omniprésente, n'était pas importante, comme si la mort n'était qu'une péripétie de la vie. C'est la survie du groupe qui compte et la mort de l'individu n'est qu'un détail sur lequel on ne s'arrête pas. C'est très étonnant. C'est peut être ça, au fond, qui sépare l'homme de l'animal, je veux dire le civilisé du sauvage. J'habite une autre planète. Vous savez, on n'est pas dupe: on le sait que tout ça est un drôle de rêve. D'ailleurs lorsqu'entre nous on parle de vous, de ceux restés en métropole, dans un des coins civilisés de cette planète, on dit "dans la vie réelle".
3 jours après notre arrivée nous sommes rejoints par Rémy (télécoms), Baptiste (géner), René (pateux) et Gwenn (ornitho). J'aurai l'occasion de pêcher mes premières truites - à la cuillère - à la cabane des manchots, à 25 minutes de "guetteur". J'ai fait plein de noeuds avec le fil, que patiemment René a démêlés, sans même m'insulter. 3 truites ont mordu à mon hameçon mais la plus grosse ne faisait "que" 30 centimètres. Petites comme ça, on les relâche, enfin moi c'est ce que j'ai fait. René a gardé les siennes, faut dire que c'était la taille au dessus, 55 et 65 cm, et le soir elles allaient bien avec la deuxième bouteille de Saumur.
Le dernier jour, j'ai eu l'occasion d'observer un léopard de mer, et c'est une grande chance car certains qui sont à Ker depuis un an n'en n'ont toujours pas vu. Vous verrez son sourire charmeur sur une des photos jointes, mais il ne faut surtout pas s'y fier (un mort récemment en Terre Adélie, happé par un léopard en longeant à pied la banquise). Donc on observe ça en laissant 3 à 4 mètres de distance de sécurité. J'ai vu également les "petits" des albatros, petits entre guillemets car la bestiole est déjà énorme. Elle attend seule, dans un nid isolé à l'écart du tumulte de la plage, le retour des parents partis plusieurs jours ou plusieurs semaines, eux-aussi à la pêche.
Dernier soir à Ratmanoff, 21 heures, déjà la nuit noire. Et au sud, loin là-bas, les lumières s'allument. C'est du vert et aussi du blanc. Comme un peu le lever du jour mais pas vraiment. Un spot vert qui s'allume à gauche, tout de suite un autre à droite. Ca ressemble aux spots que les boites de nuit mettent en route le samedi soir pour ameuter le client. J'attends un bon quart d'heure, le défilé des lumières, la fin de l'aurore australe, pour aller me coucher.
Et puis le jour du départ. Baptiste et René nous ramènent en tracteur. C'est bien pour mes jambes, pas bien pour ma côte. Au retour je resterai 2 jours encore à souffrir.
Au tout début de ce message, je vous ai parlé de deux options pour rallier Ratmanoff à pied. La deuxième consiste à faire 28 kilomètres d'une seule traite, directement entre Paf et la cabane du guetteur (en évitant "morne" on gagne 2 kilomètres...). C'est cette option là que je choisis demain...
Quelques heures après mon retour sur base, j'apprends le décés de Jean-Claude, un ami cher.
Retour brutal sur terre, la vôtre. J'ai l'air malin moi, avec mes belles considérations sur la vie et la mort...
Bises à tous,
Didier.
Totoche, 21 heures: Lui: -Oh Didier...qu'est ce que t'as ?
Moi: -Rien,...rien
Lui: -Oooh,....Didier !!
Moi: -Rien...
Lui: -Didier...ehhh !?
Moi: -Rien...c'est un ami, en métropole, qui est mort...
Lui: -....
Moi: -...
Lui (levant son verre): - A la vie
Moi: -Oui,...merci,... à la vie.