Ker :
On y est. Un peu d'attente à bord, les rotations hélico commencent. Je passe un gilet de sauvetage, on s'envole pour 1minute. Ca ne ressemble pas du tout à Crozet. Au niveau de la base (Port aux français), c'est tout plat, un paysage lunaire (pas de végétation, même pas d'herbe, sol noir, caillouteux). Atterrissage en douceur malgré le vent. L'accueil, lui non plus, n'a rien à voir. Attention, hein, très très chaleureux, évidemment, mais il n'y a pas l'émotion de Crozet. On sent très rapidement qu'ici la vie est moins dure, et ça rassure. Les collègues que l'on va remplacer nous prennent en main, nous installent dans nos chambres (toute neuve, 19 m², je n'ai jamais eu une chambre aussi grande!, toilette et douche privée, ça va le faire). Puis la météo: le bâtiment est à 2 km de la base. Le paysage d'abord, un sol lunaire donc, mais vue sur la mer (le golfe du Morbihan, si si), des îlots et, un peu plus loin, les montagnes, enneigées, magnifiques, toutes plus ou moins aux allures de volcans: le "Pouce", le "pain de sucre", la "pyramide Branca", le "chateau" (et ses créneaux) et au delà, le point culminant de l'archipel, le "grand Ross" (1850 m). Bon, je passe rapidement sur le boulot lui-même (observation, 2 bulletins de prévisions par jour pour la base et les "manipeurs", climatologie, et surtout radio sondage, il s'agit de lacher des ballons, ouais je sais, j'entends les moqueurs, mais c'est à coup de lancer de ballon que la science météo avance, si monsieur). Le hic c'est qu'on commence à 4h30, du matin (Arrrgh).
Retour à Paf (Port aux français): Une douzaine de bâtiment pour le logement, des hangars, la centrale (énergie), 2 éoliennes, un hôpital (surtout ne pas tomber malade), un gymnase, une bibliothèque, un cinéma (!), un port, une chapelle, la poste, des serres, un restaurant et, last but not least, au dessus du restaurant: "Totoche". On apprend très vite à connaître Totoche, le bar de la base. Totoche c'est un billard américain et un autre français, 2 babys, une table de ping-pong, un jeu de fléchettes, une discothèque (24000 morceaux en stock!!!!), un écran géant, des jeux en veux-tu en voilà, des canapés et pour aller avec, bien sûr, des consommations, toutes à 80 centimes (quatre vingts centimes). C'est évidemment un lieu où on se retrouve beaucoup, y'a de la lumière tous les soirs mais à vrai dire toutes les nuits aussi. Autant dire que mes 15 premiers jours ici ont été très difficiles (je ne parle pas du boulot là, mais vous aviez compris). C'est d'autant plus difficile que c'est plein de jeunes ici. Y'a certes des scientifiques sérieux (Météo, Cnes), des garagistes, des maçons, des plombiers, des électriciens d'EDK (Electricité De Ker), des centrales(-énergie) des infra(-structures), des cuisiniers, les petites Marie, un boucher, un docteur (bibker) et son infirmière, un bosco pour le bateau, un pompier mais il y a aussi des VAT (volontaires de l'aide technique) qui le jour travaillent pour pas cher à la recherche mais le soir vous entrainent à Totoche pour peu que vous soyez un peu de bonne compagnie. Ils ont entre 20 et 25 ans et ils sont "popchat" (étudie la population de chats de l'île), "poptruite" (ben oui), ecobio, biomar, ornithos ou géner (general des VAT), ils pétent la santé et se couchent très tard. Comme Totoche est LE bar officiel de la base et que ces jeunes sont des rebelles, ils ont créé des bars clandestins un peu partout sur la base. Bref, faut être fort dans sa tête pour résister aux sollicitations et désormais, je serai fort (mais pas ce soir là, passque ce soir c'est "traquenard" au bar clandestin de ...la météo!!).
Pour dire la vérité, les 5 premiers jours ont été assez pénibles: les "partants" étaient encore là, pour passer les consignes aux arrivants, ça fait des journées où on travaille beaucoup, mais ça fait également des soirées où y'a plein de gens qui rient beaucoup mais aussi qui pleurent très vite après. Car en quelques mois on noue ici des relations très fortes et le départ, de toute évidence, est très douloureux. Le "Marion" est reparti, direction îles de St Paul et Amsterdam, les anciens à son bord, et depuis l'ambiance est plus saine.
Pendant ces 15 premiers jours, je n'ai pas encore eu le temps de quitter la base. Remarquez, pas la peine de la quitter pour avoir des sensations: Marcher 300 mètres vers la mer, écouter un râle immense qui vient des vagues, ouvrir les yeux, vous y êtes: un éléphant de mer, un truc immense, je sais pas moi, mais bien 4 mètres en tout cas, qui est là devant vous (à 15 mètres tout au plus), qui ouvre sa gueule de folie et qui vous regarde parce qu'il n'y a que lui et vous. Et vous oubliez de faire les photos qu'il faut faire.
De toute façon ce n'est que partie remise: quand je ne bosse pas pour la météo, je deviens "manipeur"; dès demain ce sera ma première sortie sur l'île verte (2 heures de chaland pour y accéder): j'accompagne 2 VAT qui étudient...le choux de Kerguelen (ouais, des chercheurs qui cherchent, y'en a). On reste 6 jours là bas et pratiquement dans la foulée, je pars pour "Port Jeanne d'Arc", ancien port baleinier, vestiges 3 étoiles, avec Popchat, (on ne vous la fait pas, vous savez qui est popchat) pour 7 jours. Après une semaine de boulot je partirai à nouveau 5 jours à "Ratmanoff" (8 heures de marche), une manchotière qui va me dégouter à tout jamais des manchots (plusieurs milliers parait-il).
Bon, justement, il est l'heure pour moi de faire mon paquetage (et de préparer l'apéro météo de ce soir).
Maman, envoie moi des cacahuètes et des pistaches, on trouve pas ça dans ce pays.
Je vous embrasse